Saké japonais et Nihonshu : ce que l’Occident ne comprend pas toujours
Le saké, ce malentendu culturel
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le saké – prononcez o-saké お酒, dans sa forme polie – n’est pas forcément cet alcool de riz fort que l’on imagine.
Au Japon, le mot saké 酒 désigne en réalité l’alcool en général. C’est un terme générique.
Ainsi, si vous entrez dans un bar ou un restaurant et demandez simplement du saké, il est probable qu’on ne sache pas exactement quoi vous servir.
Le mot peut désigner aussi bien de la bière, du vin, du whisky, du pastis… que du nihonshu (le vrai "saké japonais") ou du shōchū.
D’où vient cette confusion ?
Lorsque le Japon s’est ouvert à l’Occident, le nihonshu 日本酒, alcool de riz traditionnel japonais, est devenu un symbole culturel. Les Occidentaux ont alors traduit ce mot simplement par “saké”, pensant qu’il ne désignait que cette boisson-là.
Pourtant, même au Japon, cette ambiguïté est courante. Cela vient sans doute du fait qu’à l’origine, l’unique alcool produit localement était le nihonshu, fabriqué dans les fermes, à base de riz, d’eau et de fermentations naturelles. Le mot “saké” allait donc de soi.
Après l’ère Meiji, le Japon s’étant ouvert à d’autres techniques de distillations et de fermentation, d’autres alcools ont ainsi gagné le marché et il y eut besoin d’autres mots pour définir ces nouvelles boissons.
Mais encore aujourd’hui, si vous allez dans un izakaya – le restaurant traditionnel japonais – et que vous demandez du saké « o saké ga arimasu ka ? », on pensera que vous souhaitez boire du nihonshu. En revanche, si vous posez la même question dans un bar moderne, le mot saké englobera tous les alcools et on vous demandera quel alcool vous souhaitez précisément boire.
L’alcool au Japon : un lien social millénaire
L’alcool au Japon est de culture millénaire et entretien le lien social. Il accompagne aussi les moments collectifs, en particulier après le travail. Les salarymen – ces salariés d’entreprises qui travaillent d’arrache-pied pour leur entreprise – viennent souvent en fin de semaine avec leur chef pour célébrer le travail bien fait et trinquent joyeusement en disant : « o stukaré sama deshita » qui veut dire littéralement « merci pour votre travail acharné ».
Que boit-on au Japon ?
Les Japonais aiment boire, certes, mais contrairement à la France, l’offre en boissons non alcoolisées est d’une richesse étonnante !
Voir mon article à ce sujet : Les boissons sans alcool au Japon, un choix très varié
En ce qui concerne les boissons alcoolisées, le Japon offre une diversité comparable à celle de notre terroir français.
Le nihonshu, par exemple, cette boisson autour de 15° repose sur un savoir-faire, dans le processus de sa fabrication, tout aussi rigoureux et complexe que celui de nos grands vins.
Mais alors, quels sont ces noms que l’on entend dans les izakaya, les restaurants et les bars ?
Faisons ici un petit inventaire utile qui vous permettra d’y voir plus clair dans le monde du saké japonais :
Le nihonshu 日本酒
Signifie « Alcool du Japon » ou « Alcool de l’origine du soleil ».
C’est clair, le nihonshu est la boisson traditionnelle par excellence et déifiée dans les rites shintō.
On pourrait dire que le nihonshu est au Japon ce que le vin est à la France.
Lorsqu’on parle de nihonshu au Japon, c’est une affaire sérieuse.
Il est considéré comme « le saké des dieux 神の酒 », et en tant qu’occidental, vous serez à l’honneur si vous savez l’apprécier, et plus encore si vous êtes connaisseur.
Le nihonshu est un alcool naturel de 13 à 18° fabriqué à partir de :
- riz,
- eau,
- kōji-kin 麹菌 un champignon à enzymes,
- et de levures naturelles.
La fermentation fera le reste.
Comme nos vins, l’excellence du saké relève de différents paramètres :
- le terroir,
- la qualité du riz,
- celle de l’eau,
- la richesse enzymatique du kōji,
- et bien sûr, tout le savoir-faire du maître brasseur (tōji).
Les prix peuvent aller de quelques euros à des milliers d’euros pour certaines bouteilles d’exception.
Une complexité à la hauteur de notre vin
Le monde du nishonshu est d’une complexité incroyable et vous trouverez quantité d’ouvrages et de blogs spécialisés dans ce domaine.
Je me limiterai ici à vous en faire un décryptage rapide pour vous offrir une première clé de lecture.
Mais avant d’entrer dans l’inventaire des catégories du saké, voici quelques notions de base à connaître.
Le polissage
Le riz est poli avant d’être utilisé pour la fabrication du saké, et plus le polissage est important, plus le cœur du grain est mis en valeur, tandis que son enveloppe extérieure est éliminée.
Autrement dit, lorsqu’on parle d’un riz poli à 60 %, cela signifie que 40 % de la surface extérieure du grain ont été retirés, ne laissant que 60 % de son noyau central.
Le goût et la structure
Le polissage a un impact direct sur la qualité de la fermentation, car la partie centrale du riz est plus riche en amidon, tandis que la surface contient davantage de lipides, de protéines et de vitamines.
En matière de goût et d’équilibre, la couche externe du grain peut apporter de l’amertume et des saveurs plus grossières, tandis qu’un riz poli à moins de 60 % ou 50 % révèle des arômes subtils, floraux et élégants.
À l’inverse, un riz peu poli – par exemple à 80 % – donnera un saké plus corsé, rustique, parfois plus amer.
Le vocabulaire des saveurs
Il y a une multitude de saveurs et de goûts complexes mais voici une classification basique qui vous permettra de commencer à explorer par vous-même cet univers très étendu dans le domaine olfactif et gustatif.
辛口 karakuchi Sec (peu de sucre résiduel, sensation légère)
甘口 amakuchi Doux (présence de sucre résiduel, douceur)
力強い chikaradzuyoi Puissant, énergique, charpenté
濃醇 nōjun Riche, dense, corsé, avec du corps
淡麗 tanrei Léger, pur, net, plutôt sec
まろやか maroyaka Doux, arrondi
芳醇 hōjun Aromatique, parfumé, complexe
爽快 sōkai Frais, vif, désaltérant
Quelles sont les différentes sortes de saké ?
Le Nihonshu 日本酒 représente trois grandes catégories de saké à base de riz fermenté
1・Futsu shu 普通酒
C’est le saké de tous les jours, comparable à notre vin de table. Il est soumis à aucune contrainte particulière pour sa fabrication :
- pas de taux de polissage exigé,
- quantité d’alcool ajoutée plus souple,
- additifs autorisés (sucre, acide lactique, etc.).
Il existe des futsū-shu industriels très simples, mais aussi des cuvées plus soignées, produites avec sérieux.
C’est souvent ce type de saké qu’on consomme chaud ou froid, selon la saison et les préférences.
2・Junmaishu 純米酒
Ce saké est issu d’une fermentation naturelle de riz pur, sans aucun ajout d’alcool distillé ni d’additifs (sucre, acide, etc.).
Seuls le riz, l’eau et le kōji entrent dans sa composition. C’est un saké franc, souvent plus corsé et riche en umami.
Quels sont les différents types de Junmai-shu ?
純米酒 Junmai-shu Pas de limite stricte (souvent ≤ 70 %) Riche, corsé, saveurs de riz prononcées.
特別純米酒 Tokubetsu Junmai-shu ≤ 60 % ou procédé spécial Junmai "spécial" (riz mieux poli ou méthode soignée).
純米吟醸酒 Junmai Ginjō-shu ≤ 60 % Fruité, floral, élégant, fermenté à basse température.
純米大吟醸酒 Junmai Daiginjō-shu ≤ 50 % Très raffiné, aromatique, haut de gamme.
Le % indique le taux de polissage
3・Honjōzōshu 本醸造酒
Ce saké également est issu de la fermentation du riz, comme un junmai, mais auquel on ajoute une petite quantité d’alcool distillé (≤ 10 % du poids du riz) à la fin du processus.
Ce procédé permet d’exhausser les arômes, affiner le goût, alléger la texture et parfois améliorer la conservation.
Aucun additif (sucre, acide, etc.) n’est autorisé. Le résultat est souvent plus sec et plus léger qu’un junmai.
Quels sont les différents types de Honjōzō-shu ?
本醸造酒 Honjōzō-shu ≤ 70 % L’ajout d’alcool affine le profil, goût net, sec.
特別本醸造酒 Tokubetsu Honjōzō-shu ≤ 60 % Un peu plus raffiné et aromatique
吟醸酒 Ginjō-shu ≤ 60 % Aromatique, fruité, fermenté à basse température
大吟醸酒 Daiginjō-shu ≤ 50 % Très raffiné, complexe, élégant
Le % indique le taux de polissage
La catégorie des sakés transversaux
Les styles transversaux qui coexistent avec les Junmai-shu et les Honjōzō-shu – selon qu’on y ajoute ou non de l’alcool en fin de fermentation – sont des descripteurs techniques ou sensoriels qui indiquent des variantes de traitement ou des particularités du produit final, indépendamment de la catégorie.
生酒 Namazake Non pasteurisé, vif, frais
無濾過 Muroka Non filtré, plus brut, plus charpenté
原酒 Genshu Non dilué, plus fort en alcool autour de 17-18°
熟成酒 / 古酒 Jukuseishu / Koshu Vieilli, oxydé, complexe, parfois ambré
にごり酒 Nigori-zake Trouble, velouté, doux, parfois sucré
Les Shōchū, les alcools forts
・Shōchū 焼酎 est un alcool distillé, contrairement au nihonshu qui est, lui, fermenté. Sa teneur en alcool est d'environ 25°, parfois plus, jusqu’à 30° ou 35° pour certaines versions.
Différents types de Shōchū existent selon l’ingrédient à partir duquel ils sont fabriqués.
🍠 Patate douce 芋(いも) Imo shōchū Parfumé, riche, rond, parfois terreux
🌾 Orge 麦(むぎ) Mugi shōchū Léger, toasté, noisetté
🌾 Riz 米(こめ) Kome shōchū Fin, moelleux, délicat, doux
🌽 Sarrasin (blé noir) 蕎麦(そば) Soba shōchū Original, sec, légèrement végétal
🍠 Taro 里芋(さといも) Localisés Rares, ronds, rustiques
🍚 Résidus de saké (lees) 酒粕(さけかす) Kasutori shōchū Fort, sec, très traditionnel
🥔 Pomme de terre, etc. Nominations diverses selon les régions et les traditions
・Awamori 泡盛 est un alcool distillé et une spécialité d’Okinawa. Sa teneur en alcool est souvent de 30°, parfois plus pour des versions appelées Kūsū, atteignant 40–60°.
Fabriqué exclusivement à base de riz long importé de Thaïlande, avec un type de moisissure noire, kuro-kōji.
Il est vieilli parfois plusieurs années comme un rhum ou un whisky.
Les Cocktails à base de Shōchū
Ces cocktails sont un mélange de boissons non alcoolisées et de shōchū.
Ils sont plus doux à boire, mais attention à l’alcool ; il ne se ressent pas immédiatement !
Ils se nomment Shōchū Highball 焼酎ハイボール mais on les appelle de façon plus courante Chūhai 酎ハイ ou チューハイ.
🍋 1. Shōchū aux agrumes classiques
レモンハイ(レモンサワー) Remon-hai / Lémon sour Citron jaune, très courant
グレープフルーツハイ Gurēpufurūtsu-hai Pamplemousse, très rafraîchissant
ライムハイ Raimu-hai Lime, plus acidulé
かぼすハイ Kabosu-hai Agrume local de Kyūshū
ゆずハイ Yuzu-hai Yuzu, parfumé et subtil
🍓 2. Shōchū aux fruits doux ou sucrés
梅ハイ(うめ) Umé-hai (prune) Avec du jus ou du sirop d’umé
ももハイ Momo-hai (pêche) Très doux, populaire chez les jeunes
りんごハイ Ringo-hai (pomme) Plus rare mais agréable
いちごハイ Ichigo-hai (fraise) Sucré, parfois un peu artificiel
🍵🥤 3. Shōchū au thé ou autres boissons
ウーロンハイ Oolong-hai Thé oolong + shōchū, très populaire
緑茶ハイ(りょくちゃ) Ryokucha-hai Thé vert + shōchū, plus sec
コーラハイ Kōra-hai Coca + shōchū, très occasionnel
トマトハイ Tomato-hai Jus de tomate + shōchū, goût original
🍇 Et les vins japonais ?
Moins célèbres que le nihonshu ou le shōchū, les vins japonais connaissent depuis quelques décennies un véritable essor, porté par un travail de fond sur les terroirs, les cépages et les méthodes de vinification.
La région de Yamanashi, au pied du Mont Fuji, est le berceau historique du vignoble japonais, avec en tête d’affiche le cépage autochtone Koshu 甲州. Ce raisin à peau rosée donne naissance à des vins blancs pâles, délicatement citronnés, floraux, peu alcoolisés (11-12°), et souvent vinifiés en cuves inox pour préserver leur fraîcheur.
À côté de ce cépage emblématique, on trouve aussi le Muscat Bailey A, hybride japonais qui produit des rouges légers, souples et fruités, aux notes de cerise confite et de prune.
D’autres régions comme Nagano, Yamagata ou Hokkaidō s’illustrent avec des cuvées plus ambitieuses, parfois issues de Pinot noir, Merlot ou Chardonnay, cultivés en climat frais sur des sols volcaniques.
Bien qu’encore jeunes sur la scène internationale, les vins japonais séduisent par leur élégance, leur équilibre, et surtout leur affinité naturelle avec la cuisine japonaise, privilégiant la pureté et la discrétion aromatique plutôt que la puissance. Un univers encore discret, mais prometteur, à explorer pour les amateurs curieux.
Les vins étrangers sont également très présents, et l’on trouve chez les cavistes comme dans la restauration un choix très étendu, parfois d’excellence.
Maintenant que vous savez tout sur les boissons, il ne vous reste plus qu’à connaître les bonnes manières pour les boire avec vos amis japonais sans commettre d’impair.
C’est par ici pour la suite…
US ET COUTUMES | NIPPON JAPON & ÉTIQUETTE
CHAPITRE 11. À TABLE ET AU RESTAURANT
Sous Chapitre 3. La boisson
nipponjaponetiquette.blogspot.com/p/us-et-coutumes.html
Ce nihonshu s'appelle Shini Gami 死神, les Dieux de la Mort ou La grande Faucheuse.
De plus, les kanji 死 et 神 sont à l'envers, ce qui signifie peut-être que vous allez passer derrière la matrice ;)
C'est un très bon saké puissant, charpenté, onctueux, savoureux et original, de facture pure Junmai Daiginjō centrée sur la partie 「責め」 (seme), c’est‑à‑dire extrait final plus riche, vinifié à partir de riz Yamada‑Nishiki poli à 40 %, non filtré, non pasteurisé et non dilué (原酒).
Apprécié par des amateurs à la recherche d’un saké atypique, parfois décrit comme un rendez‑vous entêtant ; “une fois goûté, on ne peut plus s’en passer”.
Le nom 死神 est aussi inspiré d'un conte de rakugo (*) du même nom, très connu dans la tradition japonaise. Voici un résumé du conte :
Un homme pauvre, accablé par la malchance, envisage de se suicider. Juste avant de passer à l’acte, un dieu de la mort (shinigami) lui apparaît et lui propose un marché.
Le dieu lui offre le pouvoir de guérir les malades, à une condition :
S’il voit le shinigami au pied du lit du malade, il peut le sauver.
Mais si le shinigami est assis à la tête du lit, la mort est inévitable.
L’homme accepte et devient un médecin célèbre, gagnant fortune et renommée.
Mais un jour, alors qu’un riche client est sur le point de mourir avec le shinigami assis à sa tête, le médecin décide de tricher : il tourne le lit en douce, plaçant ainsi le shinigami aux pieds du mourant... et le sauve.
Le dieu de la mort, furieux, punit le médecin en l’emmenant dans une caverne souterraine, où brûlent des milliers de bougies représentant la vie de chaque être humain.
Le dieu lui montre la sienne, presque éteinte, et lui donne une dernière chance : transvaser sa flamme dans une autre bougie.
Mais, en tremblant de peur, le médecin fait tomber la bougie, et meurt sur-le-champ.
(*) Le rakugo est une forme très populaire du conte au Japon emprunté depuis quatre siècles.